Yoga en général

Le yoga, c’est apprendre à revenir à soi. C’est de découvrir ses limites, élargir ses frontières, devenir capable de vraiment se détendre dans ce qu’on est. C’est prendre le temps de se rappeler qui on est. Sur un plan physique, comme dans la vie, se sentir déséquilibré n’est pas une bonne sensation. L’impression d’être sur le point de s’effondrer à tout moment est autant dangereuse qu’inconfortable. Le fait que le yoga favorise l’harmonie, l’intégration et la complétude sont autant de raisons qui font sa popularité dans notre société moderne. En apprenant à se centrer dans une posture de yoga, on s’exerce à trouver son équilibre ce qui peut par une intégration profonde se transposer dans d’autres domaines de la vie. La démarche du Yoga est une science globale : la science de l’être humain qui tient compte du corps grossier et du corps subtiles, offrant une multitude de techniques coordonnées dont le but et la connaissance de soi et le développement spirituel, pour accéder à la quintessence de l’être, commune à tous les humains au-delà des dogmes et des religions. Le yoga considère l’être humain dans sa globalité. Il l’incite à opérer certains changements de conscience qui conduiront le pratiquant à ressentir différemment son existence, ses relations avec la société et son environnement.

Des statuettes découvertes au Pakistan vielles de 5.000 ans témoignent des premières traces historiques faisant référence au yoga, alors que les premiers ouvrages écrits les Védas datent eux de 2.000 ans avant J.C.

Contextuellement, il est clair que le Yoga est né dans un monde physiquement contraignant, loin des conforts et des facilités que l’on peut trouver dans nos sociétés modernes. Dans ce sens, sa pratique ne constituait en aucun cas l’expression d’un besoin d’activer le corps physique comme très souvent on l’entend à notre époque. C’est donc une raison plus profonde qui ont conduit les premiers yogis à développer cette science et qui aujourd’hui trouve grâce à une transposition moderne de sa pratique un écho retentissant en Occident.

Il est donc légitime de croire que les premiers yogis partageaient certainement avec nous cette même curiosité et envie d’explorer, non seulement le monde physique, mais également le monde spirituel qui s’illustre aujourd’hui encore avec ce même questionnement : Qui suis-je ? Pourquoi suis-je ici ? Que devrais-je faire ? Quelles sont mes responsabilités ? Ils se sentaient concernés par les problèmes de l’esprit et de l’âme, par les causes de la souffrance physique et spirituelle, par duhkham, comment on l’appelle en sanskrit.

C’est ainsi que les explorations et les travaux entrepris par les premiers sages indiens pour répondre à ces questions aboutirent à la fondation des premières écoles de philosophie indienne. Si toutes avaient le même objectif–atteindre le cœur spirituel de l’être humain et éliminer duhkham – leurs approches étaient sur certains points très différentes. Parmi les innombrables écoles de philosophie qui naquirent en Inde, six d’entre elles en vinrent à être considérées comme essentielles car elles partageaient toutes une origine commune, les Védas. L’ensemble des six écoles philosophiques était appelé sat darsana, sat signifiant six et darsana, philosophie.

Le Yoga est une de ses sat darsana. Rappelons que dans sa signification traditionnelle, le terme Yoga désigne un état d’unité entre le soi individuel (jiva) et le Soi Cosmique – Conscience Pure – (atman). Par extension, il prend le sens de l’union, c’est-à-dire union entre jiva et atman–ce qui présuppose une rupture préalable entre les deux. Une rupture jugée fallacieuse puisque, selon les sages et les textes, l’état de paix intérieure et de félicité est la nature propre de l’être humain.

Mais l’être humain ayant oublié cette évidence, les sages indiens se sont appliqués à lui faire retrouver sa véritable nature en prenant ce dont il dispose comme champ d’investigation et plus particulièrement pour le Yoga : le corps grossier. Avec le temps et les conventions admises, le sens du terme Yoga s’est élargi avec des significations profanes comme : lier ensemble, joindre, rejoindre, maîtriser.

En Occident, l’usage a banalisé le terme « Yoga » pour désigner un ensemble de techniques comportant essentiellement des postures physiques et des techniques de respiration. Or, si cet usage est admis, il est important d’insister sur le fait que ce ne peut être qu’une convention, car le Yoga, dans son sens sacré, n’est pas une manière de « faire », mais véritablement une manière « d’être », ramenant ainsi le Yoga a un état d’esprit. Si apaiser le mental est devenu un objectif de marque, si bien que des pratiques ont été développées pour permettre d’atteindre cet état, le calme mental est virtuellement impossible à atteindre, rendant ainsi le travail sur l’esprit une tache loin d’ordinaire. Il est donc important de comprendre qu’avant de pouvoir diriger notre esprit vers cette paix, nous devons d’abord acquérir une compréhension de son fonctionnement afin d’identifier tous les obstacles à cet état qui doivent être surmontés.

Là encore, il est important de se référer aux premiers textes sur le Yoga et plus particulièrement à ces écrits rédigés il y a 2.500 ans par Patañjali – Les Yoga – Sutras. Dès les premières lignes, Patañjali établi clairement que le yoga est avant tout concerné par l’au-delà du corps physique, c’est-à-dire, le mental et le psychisme.

Yogah citta-vrtti-nirodhah/Yogasutra 1.2

Le yoga consiste à diriger l’esprit vers un point de focalisation choisi et d’y maintenir l’attention sans distraction.
Autrement dit l’arrêt des tourbillons de l’esprit. 

Patañjali avait une compréhension du fonctionnement de l’esprit. Il avait compris que sa nature est multidimensionnelle et qu’il constitue le fondement de nombreuses activités, fonctions et états différents. Il disait que, non seulement l’esprit subissait une multitude d’influence, mais que celles-ci pouvaient, à leur tour, affecter sa nature propre, son fonctionnement et même ses qualités. Et tous les aspects de l’organisme humain–le physique, la respiration, l’intellect, la personnalité, les actions–sont étroitement liés. Patañjali savait que le corps a une influence sur l’esprit et que l’inverse était vrai aussi. Il devenait ainsi évident que la nourriture, le mode de vie, l’environnement affectif et les émotions sont autant de facteurs véhiculés par le corps qui influencent l’esprit, l’inverse étant également vrai. Si notre esprit est ainsi influencé par ces différents facteurs, il est relativement clair que d’autres aspects de notre organisme seront également influencés de manière identique. Je pourrai facilement observer que si mon esprit est agité, ma respiration sera saccadée alors même que si j’écoute une musique relaxante, ma respiration va elle aussi se calmer. 

Dans la démarche philosophique décrite par Patañjali, il n’est pas explicitement question de pratique corporelle, comme entendu aujourd’hui, mais essentiellement de disciplines morales. On y trouve que quelques Asanas (postures) et des exercices de respiration essentiellement introduits pour la pratique de la méditation. Ce n’est que plus tardivement, au 15e siècle plus précisément, qu’un ouvrage est apparu sous le terme de « Hatha Yoga Pradipika » (la petite lampe de yoga), un ouvrage où fut regroupé un plus grand nombre de postures, dites dynamiques. 

Dans ce sens, le Hatha Yoga est une dérive relativement moderne du Yoga traditionnel indien et de ce fait s’éloigne de son sens originel sacré. Il reste cependant un préalable important à la démarche spirituelle, car elle exige une bonne condition physique et un mental équilibré. Précisons encore qu’autrefois que l’Hatha Yoga désignait seulement l’ensemble des techniques de purification « sat karma » que le Sadhaka (l’étudiant) devait s’y consacrer longtemps avant que son Guru (Maître spirituel) l’autorise à pratiquer les asanas et le Pranayama (techniques respiratoires spécifiques).  Ce n’est que plus tard et par l’usage, que le terme Hatha Yoga a englobé techniques de purifications, postures et exercices de respiration.

Il est cependant important de bien insister sur le fait qu’une démarche spirituelle n’implique pas obligatoirement la pratique du Hatha Yoga. Inversement, un adepte peut pratiquer le Hatha Yoga pour son bien-être sans désirer aborder une démarche spirituelle, tout en devenant apte à le faire s’il le souhaite un jour.

Alors que l’esprit humain tend à se laisser envahir par des souvenirs du passé ou par les projections de l’avenir, le corps physique, lui, n’existe que dans l’instant présent. Le Hatha Yoga en mettant l’accent sur l’effort ardu et continu à travers les postures physique, favorise ainsi la conscience du corps présent. Ce retour à la sensation du corps agit directement sur le l’esprit et permet au mental de revenir dans l’instant. C’est alors que libéré des fardeaux du passé ou les inquiétudes du futur que l’esprit goutte à cette saveur exquise de liberté et de paix.

Il n’est donc pas étonnant que pour cette démarche traditionnelle, la définition occidentale et courante est pris la tournure suivante : « ensemble de techniques ayant pour but de maîtriser le corps physique et les fluctuations mentales afin que se révèle l’essence–état de communion, d’harmonie parfaite–qui existe en soi au-delà des apparences », même si cela s’éloigne de son sens originel et sacré.

Il va cependant de soi que cette science, au cours des années, a évolué selon les courants de la pensée indienne et s’est restructurée selon ce qui convenait à chaque époque. C’est ainsi que se sont développées différentes branches de Yoga selon la nature et les aptitudes de ceux qui les ont codifiées. Mais aucune de ses formes n’est absolue, chacune faisant référence aux autres, elles représentent les branches d’un même arbre, attachées au même tronc qui tire sa substance de ces racines communes : les Vedas.

La libre pensée indienne postule que tout n’est que « point de vue » et admet donc toutes ces branches comme des voies possibles d’évolution.

Raja yoga : yoga royal, dit classique qui, en huit étapes, propose des techniques d’introspection de plus en plus affiné.

Bhakti yoga : yoga de la dévotion qui s’applique aux tempéraments mystiques. Tous les grands saints peuvent être considérés comme des Bhakti yogi.

Jnana yoga : et yoga de la connaissance ; il s’adresse à tous ceux qui veulent s’appuyer sur l’analyse, la discrimination pour pénétrer les lois de l’univers.

Karma yoga : yoga de l’action, mais de l’action désintéressée, qui exige de celui qui le pratique abnégation et détachement dans tous les actes de la vie.

Nada yoga : Yoga descends subtile; observation, étude, manipulation des sens intérieurs.

Mantra yoga : yoga de la « parole » (mystique) ; répétition d’un vocable ayant ou non un sens mais dont le pouvoir vibratoire est des plus subtils.

Tantra yoga : Yoga de l’expansion de la Conscience, de la Connaissance, qui recouvre Hatha yoga, Pranayama, moudra (gestes mystiques), bandas (rétractions spécifiques), yantra (symbole) et mantra (sons subtiles) supports de Dharana (exercice de concentration).

Apparu sous sa forme complète après le VI siècle, le yoga tantrique est, selon certains maîtres actuels, celui qui conviendrait le mieux à notre époque. Son but est de pénétrer les niveaux profonds de l’être à travers la connaissance du corps physique, du « corps pranique » (énergétique) et du « corps mental ».

Le Tantrisme est souvent mal compris en Occident, où il est souvent considéré comme pratique sexuelle spiritualisée. En réalité, même si présente dans les textes tantriques, la sexualité est une partie mineure du Tantra yoga, qui explore cet aspect comme bien d’autres, à travers le rituel, la renonciation, les cérémonies, la méditation et le mysticisme. Dans son essence, le tantrisme tend à souligner qu’il existe un bonheur stable que l’on peut trouver par une intériorisation progressive qui a pour effet de favoriser la sérénité (Vairāgya) par rapport aux mécanismes de la psyché, en recherchant toujours (Abhyāsa) un état de silence (Nirodha) dans lequel on peut retourner à soi et se retrouver. 

Le yoga du Cachemire, que j’ai découvert en 2011 quelques années après ma formation de yoga thérapeute, s’inscrit dans ce courant tantrique. Cette approche va jusqu’à quitter l’ordre scientifique de cette philosophie en abandonnant tout but ou connaissance à atteindre ; la pratique devenant ainsi une pure expression artistique de la vie à travers le corps et ses multiples facettes. Sans cette objectivation de la pratique, il devient plus aisé d’accueillir le corps tel qu’il est sans jugements et de développer ainsi cette faculté intrinsèque qu’il l’anime : L’écoute. C’est ainsi que cette forme de Yoga est également appelé Yoga de l’Ecoute.

Si le problème a un solution, il ne sert à rien de s’inquiéter.
Mais s’il n’y a pas de solution, s’inquiéter ne changera rien.

- Bouddha -