À propos

Xénia Bianchi

Diplomée en Hatha Yoga et Yogathérapie,
membre de Yoga Suisse, agréée ASCA

Ma première rencontre avec le yoga du Cachemire a eu lieu en 2011, peu de temps après ma formation de Hatha Yoga et de Yogathérapie à Lausanne. La rencontre fut fortuite, traînant chez une bouquiniste à la recherche de manuscrits sur le sujet, je suis tombée sur un livre d’Éric Baret « L’eau qui ne coule pas ». Pour une raison inconnue, déjà le titre de ce livre a suscité en moi une curiosité nouvelle et jamais éprouvée. La lecture de l’ouvrage m’a fait ressentir cette écoute qui n’avait aucune direction.
Mon investigation s’est poursuivie en 2012 par la participation à un séminaire de son auteur proposé en Suisse. Durant ce séminaire, après un moment de méditation, le silence a été brisé par la phrase « Ne changez rien dans votre vie !», et à cet instant même, j’ai senti toutes mes armures tombées, comme si tout mon imaginaire sur la voie de yoga s’écroulait. C’était comme une clarté qui avait frappé mon cœur et qui me faisait réaliser que tout ce que j’avais entrepris jusqu’à maintenant sur mon cheminement yogique revenait à devenir quelqu’un d’autre en niant ce que j’étais vraiment. 

Le Yoga du Cachemire nous vient d’une tradition tantrique non-duelle du Shivaïsme du Cachemire. Cette approche a été présentée à l’Occident par Jean Klein et est transmise aujourd’hui pas ses élèves et notamment Éric Baret, qui est devenu aujourd’hui mon enseignant et ami. C’est une approche qui ne vise aucune construction objective du corps, au contraire, c’est un processus de déconstruction de nos chemins de fonctionnement qui eux se sont inscrits principalement par nos refus, nos réactions, par toutes ces fois que nous avons dit « Non » à la vie. Et quand il y a une réaction, il y a une contraction. Toutes ces contractions bloquent la circulation libre de l’énergie dans le corps et le rendent opaque, lourd et rigide. Dans cette exploration, il n’y a rien à accepter ni à rejeter.

C’est simplement en voyant tous nos mécanismes sans refus que nous pouvons pressentir notre vraie nature, la tranquillité. Nous ne pouvons pas devenir tranquilles en refusant constamment l’agitation. L’agitation apparaît dans la tranquillité…

Ce qui m’a touché le plus dans cette approche, c’est l’éveil d’une grande sensibilité tactile qui embrasse toute la séance, qui accompagne chaque inspiration et chaque expiration. La sensibilité qui nous met complètement nus libre de tout jugement et de tout commentaire. Cette sensibilité s’inscrit dans l’écoute. Autrement dit, c’est le yoga de l’écoute dont la prolongation se transpose sur la vie de tous les jours. Le vrai yoga commence quand je quitte mon tapis, et quand je suis face à telle ou telle situation de la vie qui m’offre toute une palette d’émotions, de sentiments et c’est là que se trouve le cadeau le plus précieux, le ressenti tactile du corps. Ce n’est jamais la faute de l’autre, c’est au contraire grâce à l’autre que je me reconnecte avec ce qui est essentiel : l’émotion.

 « L’émotion ne nous empêche pas d’être tranquilles. Au contraire, elle nous amène à la tranquillité. La tension du corps permet la prise de conscience de la détente véritable. Dans cette détente, la tension apparaît et nous révèle la détente. Elle nous permet de constater ce qui est libre en nous.»

— Extrait de : « De L’Abandon » Éric Baret Ed. Les Deux Océans —

Un autre ressenti qui suit et qui se formule comme vulnérabilité, et comme ça devient bon de se sentir vulnérable. Parce que justement cette vulnérabilité qui me fait ressentir ce « je ne sais pas »… je ne sais pas ce qui est juste pour ce corps, et quand je me tais et j’arrête de lui demander de devenir quoi que ce soit c’est le corps qui me parle. C’est cette vulnérabilité qui a le pouvoir nous rendre véritablement invulnérable.

Dans cet espace sans référence, les mouvements lents et accessibles surgissent dans l’instant et se meurent l’instant  d’après, pas de protocole à suivre, pas de règles absolues à retenir. Très souvent vouloir aller vite, pour beaucoup de gens, est un moyen d'éviter la sensation de douleur et d'inconfort. Parfois, la séance peut prendre un rythme plus soutenu et ça surgit naturellement après un certain temps d’intégration. Dans cette pratique, l’accent n'est jamais mis sur l’apparence extérieure de la posture, mais sur la façon avec laquelle le corps s’y installe. Plus tard, dans la pratique, ce n’est pas la sensation qui apparaîtra qui nous émerveillera, mais l’espace dans lequel elle sera en train de se concrétiser.

Comme le geste d’un artiste ou d’un musicien, cette exploration est ressentie comme un art ou aucun but n’est visé. Je ne fais pas ça pour quelque chose, mais par quelque chose, par Amour pour la vie et s’il n’y a qu’Amour, il n’y a plus rien à défendre.  L’Amour devient ainsi un élément central dans le yoga du Cachemire. Ce terme reste cependant peu utilisé par mon enseignant, car sa compréhension profane par nos sociétés modernes pourrait conduire à une confusion chez les élèves lorsqu’il se réfère à une tradition sacrée.

« S’il y avait un but dans ce yoga ça aurait pu être de vous faire comprendre expérimentalement que le corps est en vous, vous n’êtes pas dans le corps. La sensation est en vous, vous n’êtes pas dans la sensation. Au début, c’est une idée philosophique, puis cela devient votre expérience directe. Être sans demande, voilà le yoga. Le yoga du Cachemire vient du pressentiment que toute perception n’a sa réalité que dans le silence. Au lieu d’essayer d’affiner la perception pour arriver au silence, ce yoga s’inscrit dans la démarche tantrique, laquelle est opposée : on ne va nulle part, on laisse la perception, la pensée totalement se révéler. Le yoga du Cachemire stimule la découverte d’espaces de liberté, sans poids ni substance. »

- Eric Baret- 

Au fil du temps, ma pratique et mon enseignement se sont transformés. Les éléments se sont mélangés entre les connaissances d’avant et l’intégration de mon cheminement continu. Les premiers éléments utilisés tels que la musique en arrière-plan, le chant des mantras et des relaxations guidées ont laissé gentiment de plus en plus de place au silence durant les séances : un silence actif réservé à l’écoute du ressenti.

 « Ici, nul besoin de progrès spirituel ni de contemplation, ni d'habileté de discours, ni d'enquêtes, nul besoin de méditer, ni de se concentrer, ni de s'exercer aux prières marmonnées. Quelle est, dis-moi, la Réalité ultime absolument certaine ? Écoute ceci : ne prends ni ne laisse et, tel que tu es, jouis heureusement de tout.»

- Abhinavagupta -

Abhinavagupta, qui a vécu au Cachemire au XIe siècle, est l’une des plus grandes figures du Shivaïsme du Cachemire. Il fut à la fois un grand Maître du Yoga, du Tantra, mais aussi un grand poète et dramaturge. Dans ses enseignements, il mettait beaucoup d’accent sur la beauté et une manière de ressentir cette beauté à travers le touché. Le touché dans la pratique de ce yoga se réfère au ressenti du corps. Nous ressentons le corps comme densité, légèreté, chaleur, humidité et j’en passe. Toutes ces sensations corporelles peuvent être stimulées par un geste, une émotion, et même une pensée. Si nous parvenons à ne pas nous identifier à ces pensées, le processus mental réveille à son tour une émotion et la tactilité du corps. Malheureusement, beaucoup de gens ne sentent plus leur corps, car la perception se limite à la pensée jusqu’à intégrer le ressenti du corps dans la pensée. C’est pour cette raison qu’on explore des postures, des mouvements corporels pour réanimer la sensibilité du corps. Elles nous aident à retrouver un corps fluide et vibrant, qui s’accorde sans effort avec l’instant.

Il n’est donc pas surprenant de retrouver chez d’autres sages appartenant à des cultures et religions totalement étrangères au mysticisme indien, la même résonance et écho qui nous fait plonger en nous-mêmes. On peut citer des grands mystiques comme maîtres Eckhart, Abdel Kader ou Ibn Arabi ou même des auteurs plus modernes comme Gitta Mallasz ou Jacques Lusseyran, des artistes sans forme et sans tradition, mais qui étaient eux aussi totalement touchés par cette voie directe présente également dans le Yoga du Cachemire.

« Restez où vous êtes, ne changez ni de milieu ni de manière d’être, mais devenez disponible à votre fonctionnement émotionnel, intellectuel et sensoriel. Le silence que vous cherchez ne se trouve pas quelque part, mais dans votre présence à ce qui se présente.»

- Jean Klein -